4 ans auparavant, Lise & Morgan

Quand Morgan raccompagna Lise à sa voiture restée garée au restaurant, celle-ci en profita pour l'inviter le samedi soir à l'accompagner au théâtre.

La semaine passa très vite. Morgan avait résolu de reprendre le rythme des sorties à vélo le matin, bien qu'elle ait perdu sa condition physique à la suite du long séjour à la clinique. Lise veilla sur elle avec une attention soutenue, lui porta son eau, prit soin de rester derrière.

Le samedi soir, Lise vint chercher Morgan. Celle-ci venait de confier Esmeralda à une jeune fille d'une maison voisine qui gagnait ainsi un peu d'argent de poche. En ouvrant la porte à Lise, Morgan marqua un temps d'arrêt. Lise s'était perchée sur de grands talons et sa robe ultra courte dévoilait une intégralité de jambes qui attira le regard de Morgan, Lise le nota avec satisfaction. Elle avait changé sa coiffure pour un carré effrangé teinté selon l'un de ces nouveaux dégradés entre le roux clair et le noir profond, une sorte de fractale alambiquée jusqu'au magique, obtenue par la stimulation au laser de la réaction chimique qui activait la substance teintante. La robe, dans les mêmes teintes, était tout aussi sophistiquée. Coupée dans un taffetas dont le motif de couleur ajouré reflétait lui aussi la tendance récente de la mode à avoir recours à des objets mathématiques exotiques, elle découvrait son épaule gauche et le bras opposé, avec deux trous ovales de biais, l'un dans le dos et l'autre sur le ventre, centré sur le nombril, qu'elle avait rehaussé d'un pendentif. De discrets similis-tatouages répétaient sur ses joues des fragments du motif dans ses cheveux, et les mêmes dessins étranges s'enroulaient sur ses poignets et ses doigts jusqu`à ses ongles. Elle portait un parfum envoûtant, lourd et capiteux, complexe. Elle décoda avec un frisson de plaisir le regard admiratif de Morgan dont le tailleur-pantalon bleu pâle mettait en valeur les formes tout en longueur et dont le faux chignon assorti à sa mantille de dentelle rebrodée par le même jeu de perles rehaussait à merveille la noblesse des traits. Elles s'échangèrent des compliments. Mais si Morgan imposait le respect par son allure de modèle, Lise savait qu'elle jouait dans une autre catégorie. Avec son petit visage exquis encadré par le casque de ses cheveux raides et sa silhouette délicate révélée par la robe fractale, elle semblait vouloir surgir comme la réminiscence haute couture d'un improbable manga.

Tandis qu'elles dînaient au comptoir d'un café, au coin du théâtre avant la représentation, Lise surprit Morgan qui l'admirait, et qui se forçait à détacher son regard d'elle. Lise battit des paupières. Elle cacha derrière son sourire les soubresauts de son cœur. Lise ne garda pas de souvenir précis de la représentation, tant elle était concentrée sur son objectif, assis à côté d'elle, et dont elle ne put pas s'empêcher d'admirer furtivement les lignes élancées. Oui, la proximité de cette silhouette gracieuse accapara son attention, comme une incroyable promesse. Sorties du théâtre, elles marchèrent sur le front de mer pour se dégourdir les jambes et prendre un cocktail de jus de fruits. Le bistro était minuscule, très cosy. Elles étaient installées à une toute petite table ronde, face à face, si proches qu'elles avaient entrechoqué leurs genoux en s'asseyant. Au deuxième cocktail de jus de fruits, comme Morgan avait laissé sa main à côté de son verre, Lise, à la faveur d'une remarque anodine, vint y poser la sienne, et l'effleura, câline. Morgan tressaillit d'un frisson si intense que Lise le perçut. Et comme Lise reposait sa main sur la table, Morgan vint la frôler de trois phalanges à son tour, le bout de son majeur tournant sur la peau fine où la lumière de la petite lampe dessinait quelques veines. Elle cligna des yeux, étonnée d'avoir fait cela. Elles se regardèrent. Lise lui donna alors un sourire illuminé de bonheur, et Morgan la gratifia en réponse de l'un des siens, éclatant comme elle en avait le secret, la blancheur de ses dents parfaite par le satin noir de sa peau. Un ange passa. Morgan ne put s'empêcher de regarder aux alentours si quelqu'un les avait vues. Elle croisa le regard redevenu sérieux de Lise qui faisait de même. Deux amies aussi proches qu'elles l'étaient, cela risquait déjà de faire jaser, autant ne pas donner prise à la médisance.

Ensuite, elles échangèrent quelques plaisanteries sur le fait qu'il semblait que chaque fois qu'elles commençaient à causer, le temps leur échappait. Mais la conversation était devenue irréelle. Pourtant, elles étaient si bien, et il était si doux d'être juste là, belles, sages, et de le lire dans regard de l'autre. Et maintenant ? se demanda Lise, le cœur battant, de l'espoir que celui de Morgan tanguait aussi. Elles décidèrent de rentrer, sous le prétexte qu'elles avaient l'intention de se lever à l'aube pour la sortie à vélo habituelle.

Une semaine étrange, franchement décalée, commença, durant laquelle chaque fois qu'elles échangeaient un regard, le lien était abrégé par une sorte de pudeur mutuelle, et pourtant, elles y revenaient. Lise multiplia les occasions de venir comme par accident au contact. Elle en profita pour donner quelques caresses déguisées, ici la joue en prétextant d'en retirer une salissure, là le bras pour ponctuer une phrase chaleureuse, et même une fois le genou. S'occuper d'Esmeralda, la passer d'une paire de bras dans l'autre, offrait de nombreuses occasions. Chaque fois, il lui sembla bien que Morgan ne se pressait pas pour abréger le rapprochement. Le mardi, Morgan lui caressa le bras à son tour. Après la longue sortie à vélo du mercredi, qui avait été particulièrement ardue, Lise tenta sa chance en proposant à Morgan un massage. Elle tricha sans retenue en prodiguant à Morgan une version très tendre et sensuelle, qui fit soupirer Morgan, ce qui ravit Lise, elle-même très émue. Son excitation se transforma en ivresse quand Morgan lui rendit la pareille, s'appliquant elle aussi à rester à la limite de la caresse, forçant Lise à détourner son visage pour lui cacher les larmes qui lui étaient venues. Cette séance marqua Lise. Les nuits qui suivirent, ce souvenir habita ses rêveries, transformant sa tentation à séduire Morgan en une volonté farouche. Et son cœur battait la chamade chaque fois qu'elle pensait à Morgan. Le jeudi soir, comme elle venait de changer Esmeralda et se penchait sur elle pour lui faire des baisers, Morgan qui entrait dans la chambre vint passer une main dans son dos et dit en riant : « Elle en a de la chance, cette petite fille-là ! » Cette nuit-là, l'obsession de Lise prit une telle ampleur qu'elle en perdit l'appétit.

Le samedi suivant, elles sortirent à nouveau ensemble. La soirée fut troublante, ponctuée de bafouillements et imprégnée d'une complicité embarrassante, de regards qui se détournaient en souriant, si bien qu'elles finirent par en rire, mais sans pouvoir en parler. Et Lise s'en mordait les lèvres, tenaillée entre son désir et sa réserve.

Lorsque Lise arrêta sa voiture devant la maison de Morgan, le moteur tu laissa le chant des insectes nocturnes envahir le blanc de leur conversation de façon très romantique. Morgan sembla hésiter, elle regarda de gauche à droite. Elle respira comme pour remettre un peu d'ordre dans ses pensées. Lise se mordit les lèvres, et Morgan l'imita. Cela les fit rire. Alors, Lise lui fit un sourire différent, calme et posé, séducteur, tout à fait osé par rapport aux relations qu'elles avaient eues auparavant. Posant ses mains sur ses genoux, elle énonça d'une voix qui tremblait :

— J'ai une révélation à te faire.

Morgan hocha la tête, un soutien sincère.

« Je suis tombée amoureuse de toi.

Les yeux dans les yeux, elles restèrent silencieuses quelques secondes, attentives et prudentes. Lise ajouta :

« Et je voulais te dire... que si tu trouves que je vais trop loin... que si tu ne te vois pas t'investir dans ce type de relation avec moi... Il faut que tu me le dises, et je te laisserais tranquille.

Morgan se pencha et lui prit une main qu'elle nicha entre les siennes. Les longs cils de Lise papillonnèrent. Comme paralysée par la stupéfaction et la liesse, elle regarda la main de Morgan lui caresser la paume et remonter avec tendresse jusqu'au pli de son coude.

— Si tu veux que cela reste platonique, chuchota Morgan, je n'y vois pas d'inconvénient, mais tu sais, je n'ai aucun talent pour l'introspection, il me faut du concret. Alors, dis-moi plutôt : jusqu'où es-tu prête à aller ?

Lise écarquilla les yeux de surprise. Elle respira tandis qu'un sourire malicieux plissait le coin de ses yeux.

— Avec toi, je suis prête à aller au-delà de tout ce que tu peux imaginer.

Morgan eut un rire bref, une explosion de joie. Elle regarda Lise avec révérence et tendresse.

— Et si on commençait par le commencement ?

Elles se penchèrent l'une vers l'autre sans se lâcher des yeux. Morgan porta sa main à la joue de Lise. Elle observait les yeux de Lise qui clignaient fort. Elles marquèrent un arrêt, comme si chacune avait besoin de vérifier quelque chose, ou peut être pour faire durer la magie très simple, mais très profonde, de cet instant. Suspendues à deux doigts l'une de l'autre, elles pouvaient commencer à humer la peau de l'autre, à compter les taches des iris dans la lumière de la Lune. Elles approchèrent leurs lèvres ... À cet instant, un très fort échange de miaulements de rage se fit entendre : deux chats qui s'affrontaient dans un jardin. Elles s'écartèrent. Lise regarda aux alentours. Est-ce que quelqu'un allait sortir pour séparer les bagarreurs ? Elles attendirent quelques instants, échangèrent des sourires pour se rassurer. Les chats s'étaient calmés, la nuit avait retrouvé sa musique discrète. Morgan regarda Lise.

— Viens chez moi.

Morgan s'occupa de régler la baby-sitter tandis que Lise s'éclipsait aux toilettes, presque autant pour donner le change qu'autre chose, mais la jeune fille ne semblait pas pressée, ce qui avait au moins le mérite de prouver qu'elle n'avait pas compris la situation. Enfin, elle partit à pied, elle habitait à deux pas.

Revenant au salon, Morgan trouva la baie vitrée ouverte. Quittant ses escarpins, elle se glissa sur la terrasse où elle vit Lise, son petit sac à ses pieds, accoudée à la balustrade face à la vue sublime des collines qui plongeaient dans la mer sous la clarté d'argent de la Lune. La brise s'était levée, tiède, et soulevait les cheveux de Lise. Morgan vint se mettre au contact, hanche contre hanche, et Lise tourna son visage vers elle en se mordant la lèvre inférieure. Elles se sourirent pour se rassurer. Lise tremblait. Elle admira le visage calme de Morgan éclairé par la lune. Morgan se pencha sur elle en l'attirant, arrachant un soupir d'apaisement à Lise. Une brève hésitation, le temps de s'émerveiller de la douceur du contact, leurs lèvres se touchèrent. Tout de suite, elles recommencèrent, avec un abandon aussi soudain qu'abyssal, très longtemps cette fois, d'un baiser qui les laissa toutes deux étourdies et tremblantes, oblitérant le monde entier. Lise avait refermé ses bras autour de la nuque de Morgan. Les mains de celle-ci, en glissant sur la soie, étaient venues se nouer au creux des reins de Lise. Elles récidivèrent. Très longtemps. S'arrêtant juste pour respirer. Et pourtant, ce n'était pas assez. En vérité, c'était primordialement insuffisant. Elles se regardèrent, tremblantes et essoufflées, éberluées, avant de replonger. Quand une risée fit frissonner Lise, elles se regardèrent à nouveau. Il n'était plus question de sourires maintenant. Lise, le souffle court, attendit en scrutant Morgan, qui finit par chuchoter à nouveau :

— Viens !

Elle la prit par la main et l'emmena dans le salon. Bouche à bouche, Lise adossée au mur, elles se goutèrent pendant la moitié d'une éternité. Puis elles commencèrent à se caresser. C'était lent et mesuré, et pourtant bouillonnant de passion contenue. Elles partageaient une exultation phénoménale. C'était bien, c'était beau à pleurer, désirable à couper le souffle. Elles sentaient bon. Leurs peaux étaient douces. Elles étaient toutes deux à la fois brûlantes et fraîches. Leurs corps possédaient une texture similaire, composition miraculeuse de la fermeté du muscle et de l'os sous une fine enveloppe de peau satinée, juste un peu capitonnée à des endroits stratégiques que les mains osaient à peine encore approcher. La Lune, par les fenêtres, donnait sa lumière bleutée au travers des voilages, tandis qu'elles haletaient, essoufflées par les longs baisers et une excitation si intense qu'elles en tressaillaient à tour de rôle. Chacune avait conscience de vivre des minutes uniques de sa vie, et le disait à l'autre par des regards furtifs dans la pénombre. C'était à la fois impétueux et bouleversant, une première fois d'une beauté inimaginable, d'une pureté si absolue, qu'il aurait dû leur être évident qu'elles étaient en train de commencer bien plus qu'une affaire, une véritable histoire dont les premières minutes déjà les marquaient à jamais.

Elles éprouvèrent le besoin de reprendre leur souffle. Les bouches glissèrent dans les cous. Elles frissonnèrent et rirent. Oui, c'était gai aussi. Elles s'écartèrent à peine, se prirent les mains, se regardèrent, se sourirent, redevenant sombre à tour de rôle avant de répondre au visage de l'autre qui s'éclairait de joie cristalline en souriant à son tour.

— Et là, c'est assez concret ? demanda malicieusement Lise.

— Hum ! Pas mal ! Mais j'étais en train de me demander si on pouvait passer aux choses sérieuses ?

Lise rit en silence. Elle prit une profonde respiration et elle quitta adroitement ses sandales. Puis elle regarda Morgan avec un air de provocation, remontant fièrement sa poitrine. Morgan haussa les sourcils. Elle affichait ce sourire qu'on a en attendant de commencer quelque chose qu'on aime bien faire. Elle vint d'une main circonspecte caresser le cou et la nuque de Lise, qui lui demanda :

— Et qu'est-ce que tu considérerais comme sérieux ?

— Je pourrais te le dire, commença Morgan, mais j'ai peur que tu n'oses pas t'investir dans une relation de ce type, et que tu prennes tes distances.

Lise rit à nouveau, radieuse d'une allégresse simple et sincère. Elle prit une profonde inspiration et répliqua en penchant la tête, avec le plus grand sérieux :

— Je te l'ai dit, pourtant : avec toi, je suis prête à aller au-delà de tout ce que tu peux imaginer. Et je te jure que c'est bien plus loin que dans tes rêves les plus fous.

Elles se regardèrent, comme pour se jauger galamment. Morgan entama un mouvement tournant, dont Lise saisit le sel, et elle tourna elle aussi, un pas de danse. Morgan hocha la tête.

— Alors, allons-y !

Elles avaient dans la poitrine le même tambour qui battait. Lise referma le cercle en tendant les mains. Les sourires s'effacèrent. Le désir était revenu, trop grand, trop intense. Elles plongèrent l'une vers l'autre à pleine bouche. Les mains descendirent parcourir les hanches, s'aventurèrent plus bas. Lise gémit la première. Morgan l'entraîna vers le canapé où elles tombèrent en riant de bonheur. Elles se déshabillèrent l'une l'autre avec le mélange de lenteur et de précipitation que crée le désir pur et le désir de faire durer le plaisir. Ainsi, Lise dégrafa une à une les attaches de la chemise de Morgan, et arrivant tout en bas, elle glissa avec assurance ses mains dans le dos de Morgan pour manœuvrer l'ouverture du pantalon et engager hardiment ses doigts en explorateurs. Morgan, libérée par cette audace, passa alors à l'offensive.

Elles avaient toutes deux oublié combien les femmes ont la peau douce, combien leurs seins sont érogènes et érotiques. Elles le réalisèrent avec émerveillement, se touchèrent en tremblant. Les mains faisaient semblant de remplacer la dentelle, les doigts au passage cherchaient les extrémités érigées avant que le bout des langues n'y vienne. Lise, la première, dit : oui ! Et Morgan trouva sur-le-champ que ce mot, si simple, était en la circonstance magique tant il signifiait en raccourci toute la tendresse que l'on voulait donner à l'autre. Elle se mit à le dire elle aussi. Elles commencèrent à s'encourager ainsi en chuchotant. Et la jouissance, avec juste la trace d'égoïsme qu'il fallait pour l'engranger, ne semblait pas pouvoir trouver de limite.

Lorsqu'elles mêlèrent mains et genoux entre leurs cuisses, elles découvrirent qu'elles avaient toutes deux trempé leur dessous. Alors, l'exultation se transforma en frénésie. Lise prit le dessus. Lorsque Morgan retomba dans le cuir du sofa, essoufflée et comblée, Lise la félicita de baisers en chuchotant des petits mots d'amour. Du coup, Morgan plongea sur elle. Lise se laissa partir avec un ravissement inouï, encourageant Morgan de petits glapissements étouffés. À la fin, elle gémit de façon déchirante, secouée de contractions impressionnantes qui la laissèrent pantelante. Ensuite, elle se blottit dans les bras de Morgan avec au creux des reins une fulgurance de bonheur sensuel. En levant les yeux, elle croisa le regard étonné, admiratif et attendri de Morgan qui la serrait. Elle se tendit à la rencontre de ses lèvres. Voyant Morgan lui rendre son baiser avec passion, et celle-ci s'appliquer avec un abandon total, elle se dit qu'il ne s'agissait peut-être pas juste d'une première fois thermonucléaire. Et du coup, elle se prit à savourer les frissons qu'elle sentait passer dans les reins de Morgan.

Il était tard, très tard pour les couche-tôt qu'elles étaient. Lise demanda tout bas :

— On continue ou on dort ?

— On continue !

Elle sourit, elle avait très bien perçu à quel point Morgan était enflammée.

— On va dans ton lit ?

Morgan lui prit la main. Elles glissèrent dans l'obscurité vers la chambre où Lise poussa Morgan dans le lit. Après, elles roulèrent et se câlinèrent. À tour de rôle, l'une prenait le dessus, l'autre jouait la passivité avec délectation. Elles s'embrassaient, avant de se serrer, pour s'écarter un peu, pour mieux se rapprocher encore. Les mains, sans cesse, mais sans urgence aucune, parcouraient la peau de l'autre. Il semblait qu'elles ne parvenaient pas à se lasser de la magie du contact. Chacune s'étonnait à chaque éclipse de retrouver un nouvel élan, comme si elles avaient voulu vérifier comment chaque partie du corps de l'autre était douce et ferme, mais qu'après un tour complet le doute se fût réinstallé. Elles se calmèrent petit à petit. Enfin, elles trouvèrent l'immobilité. Et là, dans l'oasis de cette inaction, après avoir constaté que sa respiration s'était synchronisée sur celle de Morgan, Lise prit conscience qu'elle avait attendu ces instants toute sa vie, obscurément, sans même avoir osé imaginer qu'une émotion aussi pleine et heureuse existât. Ouvrant les yeux, Morgan chuchota :

— Tu crois que notre amitié en souffrira ?

Lise lui sourit timidement.

— Si tu veux, demain, on fait comme s'il ne s'était rien passé.

— Je crains que, pour moi, cela ne soit pas possible.

Lise haussa les sourcils.

— Tu me rassures. En fait, je ne pourrais pas non plus.

— Est-ce que je t'ai dit que j'étais amoureuse de toi ? hésita Morgan.

Lise se dressa sur un coude pour scruter son visage.

— Non, tu ne me l'as pas dit. Mais, le croiras-tu, depuis quelques instants, je m'étais mise à nourrir un certain espoir. Dis-moi si je me trompe.

— Je ne te l'ai pas dit parce que je ne le savais pas. Je t'avais prévenue, je ne suis pas douée pour l'introspection.

— Ce n'est pas grave, tu as de nombreuses autres qualités très utiles en l'occurrence, comme la franchise, répondit Lise en lui caressant la joue.

— Lise, je suis prête à m'investir autant que tu le voudras dans cette relation.

— Morgan, tu as de nombreuses qualités, mais j'ai un reproche à te faire : tu es dangereusement prétentieuse. Quand tu verras ce que je vais te faire, tu comprendras ce que je veux dire.

Morgan sourit en fermant les yeux, elle tourna la tête pour caresser l'oreille de Lise du bout de son nez.

— Tu ne me fais pas peur, souffla-t-elle.

— Je sais. Tu n'as peur de rien. C'est un aspect de ta personnalité que j'adore. C'est aussi la raison pour laquelle je me sens tant en sécurité dans tes bras.

Lise joignit le geste à la parole en lui caressant un biceps, que Morgan fit durcir pour elle avec une grimace d'effort feinte. Elles rirent, et Lise vint se nicher contre Morgan qui referma ses bras autour des épaules de Lise comme celle-ci enfouissait son visage dans son cou et lui y donnait un long chapelet de petits baisers.

Elles recommencèrent, au point d'en perdre le compte. Et au lieu de s'affadir, leurs finals semblaient embellir.

Au bout de la nuit, Lise chuchota à Morgan :

— Tu crois au coup de foudre ?

— Tu crois que c'est ce que j'ai attrapé ?

— C'est ce que j'ai attrapé, moi, quand je t'ai vue apparaître à la porte de l'hôpital.

— Je ne me suis rendu compte de rien !

— C'est normal... je n'ai décidé de te séduire que samedi dernier, fit Lise en s'écartant pour contempler le visage soucieux de Morgan.

— Tu en parles comme un tueur à gages d'un contrat ! Tu décides souvent de séduire quelqu'un ?

Lise plissa ses yeux d'un sourire malicieux, avec un faisceau de rides minuscules aux coins.

— Non... Cela ne m'était pas arrivé depuis des années... En fait, tu es ma première victime féminine.

— En tout cas, félicitations. J'ai pris la flèche en plein cœur.

— Bienvenue au club, soupira Lise en souriant. Morgan sourit à son tour. Lise se nicha à nouveau contre elle, et Morgan lui caressa le dos. Quand Morgan ferma les yeux, Lise ferma les siens. Elles s'endormirent, enlacées et sereines.